L'enfer, c'est en dehors de chez moi !

En attendant l'entrée en vigueur de la loi en la matière, les personnes handicapées continuent à souffrir le martyre en se déplaçant à l'extérieur.A l'arrêt des grands taxis de Hay Essalam à Salé, Khaled, jeune homme de 27 ans, fait la queue parmi une cinquantaine de riverains. Comme eux, il est pressé de rejoindre l'autre rive pour faire des papiers administratifs. Comme eux, il veut échapper à la crise du transport qui bat son plein en début de semaine et aux heures de pointe. Mais lui n'accourt pas vers le premier taxi venu, bien que son tour soit arrivé.
Il reste cloué sur place, regardant passivement les autres monter tour à tour sans se soucier de lui. Car Khaled est handicapé. Sans son accompagnateur, il est sans appui et ne peut se débrouiller seul pour ses déplacements en ville. Durant plus d'une demi-heure, des foules de passagers s'embarquent devant ses yeux avant que l'un d'entre eux ne le remarque et n'ait «l'amabilité » de l'aider à monter dans le véhicule, de le débarrasser de son lourd fauteuil roulant et de mettre celui-ci dans le coffre du taxi. Comme beaucoup de ses semblables, Khaled accepte ses difficultés de déplacements à l'extérieur comme une fatalité. « Pour ma part j'ai énormément de mal pour me déplacer à l'extérieur. Il faut disposer d'un petit véhicule utilitaire de type Kangoo ou Berlingo mais encore faut-il qu'on vous porte pour vous installer sur le siège de la voiture.

Il faut ensuite placer le fauteuil roulant dans le coffre de la voiture. Tout cela demande beaucoup d'efforts et surtout les moyens d'avoir une voiture, ce qui n'est pas le cas pour la plupart. Bref, c'est la galère : les trottoirs sont hauts, il n'y a pas de passage piéton et s'il y en a, les trottoirs ne sont pas abaissés. On est obligé de circuler sur la chaussée parce que les trottoirs sont souvent étroits, défoncés ou encombrés de telle sorte que le passage d'un fauteuil n'est pas toujours possible », témoigne Omar Koussih, handicapé moteur et président de l'Association marocaine pour adultes et jeunes handicapés. Tout porte donc à croire que le paysage urbain tel qu'il est actuellement, a été conçu rien que pour des personnes physiquement saines.
Sinon, comment expliquer le fait que les plans d'urbanisation continuent d'être conçus et exécutés dans le plus total mépris des besoins d'environ deux millions de personnes handicapées que compte le Maroc ? Sachez pourtant qu'il existe bel et bien un texte de loi en la matière. Il s'agit de la loi de 2003 relative aux accessibilités des personnes handicapées, laquelle prévoit une panoplie de mesures visant à leur rendre justice sur ce volet spécifique.

Ainsi, pour toute construction future, la loi rend impératif de respecter des dispositions techniques particulières à même de rendre la circulation des personnes handicapées plus facile : passages praticables dans les rues, aménagements spécifiques dans les hôtels, les hôpitaux, les établissements d'enseignement et les salles de cinéma et de conférences, sièges réservés au bord des moyens de transport...Novatrice, avant-gardiste et audacieuse, cette loi l'est, mais elle a un vice rédhibitoire : c'est de n'avoir jamais été appliquée depuis sa promulgation en 2003.

«Malheureusement, le décret d'application tarde à venir, sans quoi cette loi demeure sans effet», se désole Hicham Rachidi, directeur exécutif du Collectif pour la promotion des droits des personnes handicapées. Rassurante, Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité, affirme que la promulgation du décret d'application n'est que l'affaire de quelques semaines. « Nous avons longtemps milité pour que le décret d'application voie le jour. Le Conseil du gouvernement devra se prononcer à ce sujet dans les semaines qui viennent», annonce la ministre. Entre-temps, le département de Nouzha Skalli vient de lancer en partenariat avec la Banque Mondiale un plan national de déplacements des personnes à mobilité réduite, y compris les personnes handicapées.

Dans une première phase, ce plan a été lancé à Tanger, Marrakech et Casablanca, dans la perspective d'en faire bénéficier d'autres villes du Royaume. L'une de ses principales réalisations consiste à mettre en service des taxis dédiés spécialement aux personnes à besoins spécifiques.

Mais l'impact de cette initiative demeure très limité, ce qui en fait plus un projet à valeur symbolique qu'un projet créateur de changement. Selon Hicham Rachidi, directeur exécutif du Collectif pour la promotion des droits des personnes handicapées, ce n'est pas la bonne volonté qui manque. « A la base, il y a un problème de sensibilisation et de diagnostic. La plupart des chartes communales analysées ne prennent pas en compte la catégorie des personnes handicapées. En ce sens, on peut parler de l'exclusion d'une partie de la société estimée à environ deux millions de personnes. Une tranche de la solution consiste à mon avis à réserver une partie du budget général de l'Etat et des budgets des collectivités locales aux personnes handicapées », récapitule M. Rachidi.

Poème d'un trottoir

A tous les responsables Avec chauffeurs et cartables
Mesdames, Messieurs
Bonjour, bonsoir
Je vous écris d'un trottoir
Où une fumée noire
Use mes mouchoirs
Veuillez me dire comment traverser
Ces hautes chaussées
Sans cabosser
Mon fauteuil cassé
Où je suis tassé
Veuillez me dire quel transport équipé
Doit prendre un handicapé
Pour se promener, souper
Cesser d'être coupé
Du monde occupé
Veuillez me dire où m'inscrire
Pour apprendre à lire
M'éveiller, écrire
Sans trop souffrir
Des marches escaliers, que vous ne cessez de construire
J'ai beaucoup à dire
Je voudrais vous voir
Mais vos bureaux perchoirs
Escaliers, couloirs
M'invitent à surseoir
En gardant l'espoir
Je vous dis au revoir !
Omar Koussih


Repères
Loi
 La loi relative à l'accessibilité des personnes handicapées définit les paramètres à respecter pour toute construction future, afin de rendre plus facile la mobilité des personnes handicapées. Cette loi date de 2003 mais n'est pas encore entrée en vigueur, faute d'un décret d'application.
 Décret d'application
 Nouzha Skalli, ministre du Développement social, de la Famille et de la Solidarité affirme que la question de la promulgation du décret d'application de la loi 2003 relative à l'accessibilité des personnes handicapées sera examinée par le Conseil du gouvernement dans les semaines qui viennent.
 Par Meriem Rkiouak | LE MATIN
Source: www.lematin.ma

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